mardi 23 avril 2013

Journée Mondiale du Livre

Le Petit Prince fête ses 70 ans. Lis l'extrait du commencement de l'oeuvre 


A LÉON WERTH Je demande pardon aux enfants d’avoir dédié ce livre à une grande personne. J’ai une excuse sérieuse: cette grande personne est le meilleur ami que j’ai au monde. J’ai une autre excuse: cette grande personne peut tout comprendre, même les livres pour enfants. J’ai une troisième excuse: cette grande personne habite la France où elle a faim et froid. Elle a bien besoin d’être consolée. Si toutes ces excuses ne suffisent pas, je veux bien dédier ce livre à l’enfant qu’a été autrefois cette grande personne. Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants. (Mais peu d’entre elles s’en souviennent.) Je corrige donc ma dédicace:
A LÉON WERTH
QUAND IL ÉTAIT PETIT GARÇON


PREMIER CHAPITRE

Lorsque j'avais six ans j'ai vu, une fois, une magnifique image, dans un livre sur la Forêt Vierge qui s'appelait "Histoires Vécues". Ça représentait un serpent boa qui avalait un fauve. Voilà la copie du dessin. On disait dans le livre: "Les serpents boas avalent leur proie tout entière, sans la mâcher. Ensuite ils ne peuvent plus bouger et ils dorment pendant les six mois de leur digestion".
J'ai alors beaucoup réfléchi sur les aventures de la jungle et, à mon tour, j'ai réussi, avec un crayon de couleur, à tracer mon premier dessin. Mon dessin numéro 1. Il était comme ça:
J'ai montré mon chef d'œuvre aux grandes personnes et je leur ai demandé si mon dessin leur faisait peur.
Elles m'ont répondu: "Pourquoi un chapeau ferait-il peur?"
Mon dessin ne représentait pas un chapeau. Il représentait un serpent boa qui digérait un éléphant. J'ai alors dessiné l'intérieur du serpent boa, afin que les grandes personnes puissent comprendre. Elles ont toujours besoin d'explications. Mon dessin numéro 2 était comme ça:
Les grandes personnes m'ont conseillé de laisser de côté les dessins de serpents boas ouverts ou fermés, et de m'intéresser plutôt à la géographie, à l'histoire, au calcul et à la grammaire. C'est ainsi que j'ai abandonné, à l'âge de six ans, une magnifique carrière de peintre. J'avais été découragé par l'insuccès de mon dessin numéro 1 et de mon dessin numéro 2. Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules, et c'est fatigant, pour les enfants, de toujours leur donner des explications.
J'ai donc dû choisir un autre métier et j'ai appris à piloter des avions. J'ai volé un peu partout dans le monde. Et la géographie, c'est exact, m'a beaucoup servi. Je savais reconnaître, du premier coup d'œil, la Chine de l'Arizona. C'est très utile, si l'on est égaré pendant la nuit.
J'ai ainsi eu, au cours de ma vie, des tas de contacts avec des tas de gens sérieux. J'ai beaucoup vécu chez les grandes personnes. Je les ai vues de très près. Ça n'a pas trop amélioré mon opinion.
Quand j'en rencontrais une qui me paraissait un peu lucide, je faisais l'expérience sur elle de mon dessin n° 1 que j'ai toujours conservé. Je voulais savoir si elle était vraiment compréhensive. Mais toujours elle me répondait: "C'est un chapeau." Alors je ne lui parlais ni de serpents boas, ni de forêts vierges, ni d'étoiles. Je me mettais à sa portée. Je lui parlais de bridge, de golf, de politique et de cravates. Et la grande personne était bien contente de connaître un homme aussi raisonnable.

Si tu veux lire la traduction à l'espagnol, lis la suite:


A LÉON WERTH Pido perdón a los niños por haber dedicado este libro a una persona mayor. Tengo una excusa seria: esta persona mayor es el mejor amigo que tengo en el mundo. Tengo otra excusa: esta persona mayor puede entender todo, hasta los libros para niños. Tengo una tercera excusa: esta persona mayor vive en Francia, donde pasa hambre y frío. Tiene mucha necesidad de ser consolada. Si todas estas excusas no son suficientes, quiero dedicar este libro al niño que este señor ha sido. Todas las personas mayores fueron primero niños. (Pero pocas lo recuerdan). Corrijo entonces mi dedicatoria:
A LÉON WERTH
CUANDO ERA NIÑO


PRIMER CAPÍTULO

Cuando tenía seis años, vi una vez una imagen magnífica en un libro sobre la Selva Virgen que se llamaba "Historias Vividas". Representaba una serpiente boa que tragaba una fiera. He aquí la copia del dibujo. En el libro decía: "Las serpientes boas tragan a su presa entera, sin masticarla. Luego no pueden moverse más y duermen durante los seis meses de su digestión".
Reflexioné mucho sobre las aventuras de la jungla y, por mi parte, logré trazar con un lápiz de color mi primer dibujo. Mi dibujo número 1. Era así:
Mostré mi obra maestra a las personas mayores y les pregunté si mi dibujo les daba miedo.
Me contestaron: "Por qué un sombrero podría dar miedo?"
Mi dibujo no representaba un sombrero. Representaba una serpiente boa que digería un elefante. Dibujé entonces el interior de la serpiente boa, para que las personas mayores pudieran comprender. Siempre necesitan explicaciones. Mi dibujo número 2 era así:
Las personas mayores me aconsejaron dejar de lado los dibujos de serpientes boas abiertas o cerradas, e interesarme en cambio en geografía, historia, matemática y gramática. Es así como abandoné, a la edad de seis años, una magnífica carrera de pintor. Había sido desalentado por el fracaso de mi dibujo número 1 y de mi dibujo número 2. Las personas mayores no entienden nunca nada por sí mismas, y es cansador, para los niños, darles una y otra vez explicaciones.
Tuve entonces que elegir otro oficio y aprendí a pilotear aviones. Volé por todo el mundo. Y la geografía, efectivamente, me sirvió mucho. Sabía distinguir, del primer vistazo, China de Arizona. Es muy útil, si uno está perdido durante la noche.
Tuve así, en el curso de mi vida, montones de contactos con montones de gente seria. Conviví mucho con las personas mayores. Las vi de muy cerca. Mi opinión no mejoró demasiado por ello.
Cuando encontraba una que me parecía algo lúcida, probaba con ella mi dibujo n° 1 que siempre he conservado. Quería saber si era realmente comprensiva. Pero siempre me respondía: "Es un sombrero". Entonces no le hablaba ni de serpientes boa, ni de selvas vírgenes, ni de estrellas. Me ponía a su alcance. Le hablaba de bridge, de golf, de política y de corbatas. Y la persona mayor estaba muy contenta de conocer un hombre tan razonable.



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